L’art de Mai : l’homme s’en va de l’Homme

J’ai voulu mettre en évidence, en suivant le fil d’Ariane A de cette exposition, toutes les preuves matérielles, les actions et leurs manifestations, que l’être humain utilise, à travers une multitude de formes, pour marquer son passage sur terre, présenté comme une simple expression, anonyme ou collective, de sentiments, de souvenirs à marquer au fer rouge.

C’est, pour ainsi dire, la tribune des sans-voix.

Ces inscriptions sont la matérialisation de notre existence, de notre territoire. Je considère que « L’homme qui s’en va de l’homme » nous donne le moyen de montrer comment archiver les données de ces traces, qui peuvent être aussi le canal ou l’exutoire des laissés-pour-compte.

Dans les sociétés où l’on pratique toujours les scarifications des corps, celles-ci peuvent être une sorte de langage secret destiné à une population limitée, se donnant des ambitions esthétiques d’exister à travers une sorte de carte d’identité corporelle.

En effet toutes ces traces et les moyens utilisés, quels qu’ils soient, sont de simples signatures, comme le dit ce proverbe africain :

Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants.

Les messages et traces que nous ont laissés nos ancêtres sont aussi une source de sagesse. Ces transmissions rendent compte de la manière dont l’individu se situe dans et face au monde. Nous verrons aussi dans cette exposition comment elles fonctionnent et comment elles sont liées à deux mécanismes humains : les fondements anthropologiques de la transmission orale et gestuées.

Dans un corpus de récits mémoriels d’habitants, les sociologues présentent le graffiti ou le tag comme une manière d’affirmer l’existence de l’auteur à l’autre qui l’ignore, de lui donner la preuve matérielle de son existence. Par d’autres exemples, vous concevrez que rechercher une origine, c’est se prouver à soi-même la capacité à remonter dans le temps. C’est pouvoir se relier à son passé. Si l’origine était proche, on ne la rechercherait pas. Plus elle est loin, plus elle devient à la fois mystique et identitaire. C’est à ce moment-là que l’on découvre véritablement ce que l’on recherche sans le savoir : une continuité qui a un parfum ou une fonction d’immortalité. Les peuples respectueux des rites ancestraux nourris de légendes séculaires, les généalogistes, les héraldistes, les protecteurs de patrimoine, les bâtisseurs de musées sont tous des transmetteurs de tradition, des constructeurs de continuité. Il s’agit de lutter contre la mort, d’opposer à la mortalité individuelle cette forme d’immortalité collective qui est celle de la continuité du groupe, du clan, de la tribu, de la famille, mais aussi de la nation et même de l’espèce.

La continuité, l’insertion dans une chaîne de séries causales, qui s’engendrent les unes les autres à l’intérieur d’une tradition immémoriale, depuis le commencement des temps, voilà l’origine de la quête des origines.

Que regrettons-nous le plus dans les maisons de famille ? Les murs qui protègent, les toits qui abritent, les vieillards qui veillent sur les petits-fils avant d’être remplacés par les fils, le trésor commun et caché qui se transmet, les meubles et les objets d’époque dont on ne se souvient pas, les greniers où sont remisés les coffres remplis de livres anciens et de correspondances mystérieuses.

Tout ce qui maintient, perpétue, pérennise et finalement, nous met à l’abri du temps, donc de la mort. Ainsi se construit une durée artificielle, au sens à la fois proustien et bergsonien du mot, qui donne l’illusion tantôt qu’il n’y a pas eu de commencement et donc qu’il n’y aura pas de fin ; tantôt que le commencement est si lointain que la fin est sans cesse reculée.

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